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Développer la mémoire des inondations par la pose de repères de crues : étude préalable sur l'estuaire de la Gironde

De Wiklimat

Cet article retrace le travail effectué par Jérémy Lebeaux lors de son stage de 2e année d’école d’ingénieur au CEREMA/Laboratoire de Bordeaux et reprend très largement le contenu de son rapport de stage.

Sommaire

Introduction

Au cours de ces dernières années, la France a connu plusieurs tempêtes très importantes. Les tempêtes Lothar, Martin, Klaus et Xynthia ont frappé le territoire ces quinze dernières années. Lors de ces tempêtes, de nombreux dégâts ont été observés sur les plans humain et matériel. Ceux-ci sont engendrés par les vents très forts mais également par les inondations qui en résultent.

Lors de la tempête de 1999, de nombreuses zones ont été inondées. En raison aux dégâts considérables engendrés par ces inondations, le département de la Gironde cherche à mieux appréhender ces risques. Pour cela, beaucoup de communes ont défini un plan de prévention des risques inondations (PPRI). En 1999 seules 30 communes sur 200 en possédaient un.

Parmi les projets portés par l’état, un volet essentiel porte sur l’information des populations avec le développement d’une culture de la mémoire du risque.

Antécédents historiques

Les premières inondations recensées à Bordeaux remontent aux 5 et 7 avril 1770. Cependant, la plus grande crue documentée n’a eu lieu que bien après, en 1930. Le nombre de victimes fut estimé à 200 dans Bordeaux et ses alentours.

Historique des principales inondations de la Gironde

La tempête de 1999 et ses conséquences en Gironde

Les 26 et 27 décembre 1999, deux tempêtes frappent la France. La première, appelée Lothar, n’a que peu d’impact en Aquitaine car elle touche essentiellement le Nord de la France. La seconde, appelée Martin, fera des dégâts beaucoup plus importants en Gironde. S’étant formée de façon très rapide, elle a été annoncée tardivement par Météo France qui n’émet son bulletin d’alerte que le matin du 27. Les premières rafales atteindront la côte dans l’après-midi. Les vents vont forcir tout au long de la soirée pour atteindre des rafales jusqu’à 194 km/h à Royan (l’anémomètre ne pouvait pas enregistrer au-delà mais les vents étaient très probablement plus forts).

Des pertes humaines lourdes sont à déplorer avec 30 victimes, majoritairement dues aux chutes d’arbres.

230 000 hectares de forêts ont été endommagés.

Suite à la tempête, d’importantes inondations, dues à plusieurs facteurs qui se sont cumulés, ont frappé l’estuaire de la Gironde :

  • La Garonne et la Dordogne étaient soumises à une crue mineure de période de retour inférieure à 1an,
  • Le coefficient de marée était moyen (77),
  • Les vents très forts, soufflant dans le sens de la gironde, ont créé une entrée d’eau massive dans un estuaire présentant la forme d’un entonnoir ; cette action, conjuguée à des pressions très basses (965 hPa), a entraîné une surcote exceptionnelle, estimée par la suite à 1,50m au Verdon.

La mémoire du risque

Généralités

repères de crues à Cubzac-les-Ponts

Les inondations de cette ampleur sont des événements exceptionnels, de nombreuses années peuvent donc s’écouler entre 2 événements. Une mémoire du risque est donc très importante : les nouveaux arrivants n’ont pas forcément conscience du risque inondation et les anciens occupants peuvent oublier le détail des inondations.

Pour conserver cette mémoire, des repères de crues sont mis en place. Ceux-ci doivent évidement être visibles, accessibles à la population, entretenus. Il est donc important de répertorier les repères de crues pour les communes. Ceci se fait le plus souvent dans le DICRIM (Document d’Information Communale sur les Risques Majeurs).

Cependant, toutes les communes ne sont pas encore dotées de DICRIM et la mémoire de ces repères a tendance à se perdre. De plus, pour certaines inondations, aucune action de pose des repères n’a été effectuée. C'est très largement le cas pour la tempête de 1999.

Cadre législatif

La loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages fixe le cadre législatif des risques d’inondations (Loi n° 2003-699).

«Art. L. 563-3. - I. - Dans les zones exposées au risque d’inondations, le maire, avec l’assistance des services de l’État compétents, procède à l’inventaire des repères de crues existant sur le territoire communal et établit les repères correspondant aux crues historiques, aux nouvelles crues exceptionnelles ou aux submersions marines. La commune ou le groupement de collectivités territoriales compétent matérialisent, entretiennent et protègent ces repères.»[1]

But de l’étude

Le PAPI d’intention de l’estuaire de la Gironde a été labellisé en 2012. Celui-ci prévoit plusieurs études et concertations dans le but de déposer un PAPI complet dans les 2 ans. Son périmètre englobe 86 communes situées sur l’ensemble de l’estuaire de la Gironde. Il prévoit un devoir de mémoire de ces inondations qui permettront de caler les différents modèles hydrauliques utilisés dans le RIG. L’étude cherche à mettre en œuvre l’action 1.2 du PAPI sur les repères de crue. Plusieurs objectifs sont définis par cette action, notamment la pose de nouveaux repères de crue suite aux inondations de la tempête de 1999 et une recherche de tous les repères de crue existants.

Acteurs impliqués

CEREMA

SMIDDEST

CUB

Méthodologie

Recherche d’informations sur les repères existants

La longueur de l’estuaire (une centaine de km sur chaque rive) empêche d’inspecter toutes les communes une par une pour trouver chaque repère existant. Pour cette raison, une méthode de recherche doit être mise en place.

La première étape dans la recherche de repères de crue commence par la sollicitation des mairies de la zone estuarienne qui ont l’obligation légale de renseigner les riverains sur le risque inondation. Compte-tenu du grand nombre de communes sur l’estuaire, la complexité du travail est de réussir à identifier et contacter au sein de chaque commune l'interlocuteur susceptible d’être en possession de ces informations. Il reste cependant difficile de savoir où sont situés les repères car les personnes qui ont posé les repères ne sont souvent plus présents et parce que les dossiers de pose ont été archivés dans les mairies.

Certaines communes ont pu réorienter la recherche auprès d’autres organismes pouvant apporter ce type de renseignement, bien souvent la capitainerie du port local. Beaucoup de communes de l’estuaire possèdent un port de plaisance. Les repères de crue de la zone sont souvent placés sur la capitainerie elle-même ou très proches de celle-ci car c’est un endroit exposé à la fois aux inondations et à une population intéressée par ces renseignements.

D’autres mairies sont beaucoup plus récalcitrantes à donner ce type d’information. La raison invoquée est le fait que les études sur les risques d’inondations peuvent interférer négativement avec la construction ou l’instruction de permis de construire. Elles considèrent qu’il n’y a pas de risque humain mais juste un risque matériel lié à ces inondations.

Enfin, certaines communes ne possédent pas du tout ce type d’information.

En outre, la DREAL (Direction Régional de l’Environnement, l’Aménagement et du Logement) ou la préfecture peut disposer de telles informations. D’autres organismes plus spécifiques, ou travaillant sur l’estuaire, ont également été sollicités tels que le Grand Port Maritime de Bordeaux et VNF (Voies Navigables de France).

Renseignements sur les repères existants

Les repères de crue identifiés alimentent une base de données commune gérée par le SCHAPI (Service Centrale d’Hydrométéorologie et d’Appui à la Prévention des Inondations), au travers d’un modèle de fiches standard avec :

  • Une partie localisation (nom du cours d’eau, localité, département, coordonnées spatiales),
  • Une partie repère de crue (date de la crue, hauteur d’eau NGF, état du repère),
  • Une partie consacrée aux remarques et observations,
  • Des photos et une image satellite servant à identifier l’emplacement du repère,
  • Un numéro de fiche pour correspondance avec un SIG.

Étude préalable à la pose de repères de crues supplémentaires

Recherche de laisses de crues

Pour retrouver les laisses de crue datant de 1999, un travail méthodique a dû être mis en place. L'ancienneté relative de la tempête de 1999 est un écueil supplémentaire à surmonter. En effet, 15 ans après, il est extrêmement difficile de relever des laisses de crue encore présentes. Les traces d’humidité et les branchages ont tous été enlevés. Seules certaines maisons ont gardé des traces de boues laissées par les inondations (dans les garages notamment).

Dans un premier temps, un gros travail d’archives a été effectué. Celles-ci comprennent de nombreux ouvrages et documents susceptibles d’apporter des informations sur les laisses, tels que les journaux, les photos ou les rapports des administrations.

Dans un second temps, un courrier aux mairies a été envoyé. En effet, plusieurs bâtiments communaux ont été touchés par les inondations ainsi que de nombreuses voiries qu’il a fallu déblayer. Pour ces raisons, les mairies ont pu archiver des photos ou ses rapports de l’époque qui permettraient d’identifier des laisses de crue.

Enfin, le bureau d’étude SOGREAH a effectué en février 2001 une étude pour le compte de la préfecture pour recenser les zones inondées lors de la tempête de 1999. L’ensemble des cotes relevées a été rattaché par levé topographique au nivellement général de la France (NGF). Cette étude, recensant 241 laisses de crues, n’a été menée que sur l’estuaire. Il n’y a donc aucun élément sur la CUB. Elle met elle aussi l’accent sur la difficulté de retrouver des laisses de crue deux ans après l'événement, et préconise ce genre de travail juste après les inondations.

Filtrage des résultats avant la visite de terrain

Afin de réduire le temps d'intervention sur les très nombreuses laisses de crues répertoriées, certains critères permettent de mieux choisir les laisses de crue potentiellement intéressantes qui vont être inspectées sur le terrain.

Ainsi, une laisse de crue sera inspectée uniquement si elle est visible de la population et si elle est suffisamment haute. Toutes les laisses en dessous de 40 cm sont écartées. De plus, un travail de bureau sur SIG ou sur carte permettra de connaître l’emplacement des laisses de crues. Seules celles en centre-ville ou sur des lieux de passage important (port, réserve ornithologique…) seront conservées.

Diagnostic de terrain 

4 paramètres éliminatoires sont examinés lors du diagnostic mené sur un site potentiel d’installation :

  • La lisibilité et la visibilité,
  • L'exposition à la population,
  • Les informations sur les événements passés,
  • La présence ou non d’un support.

Les observations de terrains sont rapportées dans une fiche de synthèse en 2 volets, l’un couvrant les critères hydraulique, ie. définissant la cote et la fiabilité du repère, l’autre couvrant les aspects communication, cad. la pertinence et l’impact sur la population d’un repère de crue sur ce site. Une note est affectée à chacun des paramètres et permet une sélection sur analyse multicritère des futurs sites de pose des repères.

Résultats

Recherche des repères existants

Repère de crue sur le Pont de Pierre à Bordeaux

Bien que les inondations soient fréquentes sur l’estuaire de la Gironde, le nombre de repères de crue n’est pas élevé. Malgré plusieurs dizaines d’inondations recensées les recherches (non exhaustives) ont identifié seulement 27 repères de crue.

Plus flagrant encore, il n’a été identifié qu’un seul repère pour la zone la plus densément peuplée (la CUB), situé sur le Pont de Pierre. En outre, il est impossible d’assurer l’exactitude de ce repère : ni la mairie de Bordeaux ni la CUB ne sait qui l’a posé. Ne ressemblant pas à un repère normalisé, on peut se demander s’il n’a pas été posé par une tierce personne pour remplacer une marque blanche déjà présente.

Cette phase de travail permet de mettre en évidence plusieurs difficultés dans le processus de mémoire des inondations. Plusieurs communes ne savent pas ce qu’est un repère de crue et ne peuvent donc pas renseigner sur la présence ou non de ceux-ci. D’autres communes refusent de répondre aux études portant sur les inondations de l’estuaire par crainte de conséquences sur leurs projets d’urbanisation.

Renseignements sur les repères

Les fiches correspondant aux très rares repères complets ont été établies.

D’autres difficultés ont émergé lors de l'inspection des repères sur le terrain. Trop souvent, les mairies ignorant ce qu’est un repère de crue orientent l'intervenant vers des bornes de nivellement de l’IGN.

Un autre problème rencontré sur le terrain est de localiser précisément les repères de crue. Bien que l’adresse soit connue, les mairies ne savent pas toujours sur quelle face de la maison le repère a été posé ni à quel niveau. Il est donc parfois très difficile de trouver les repères. De plus, certains repères ont dû être enlevés ou sont cachés par la végétation. Cela montre les limites de l’application réelle de la loi de 2003.

Certaines communes ont heureusement bien intégré l’importance de la mémoire des inondations et recensent déjà de façon très précise les repères de crue existants.

Lacunes et explications possibles

Les résultats mettent en évidence des zones de plusieurs communes où il n’y a pas de repère de crue et donc où la mémoire du risque inondation n’est que très peu présente. On retrouve notamment ces zones sur l’ensemble de la CUB.

Cela peut s’expliquer par plusieurs phénomènes. Le premier est un sentiment de sécurité créé par la présence de digue tout le long de l’estuaire, ce sentiment peut être illusoire au vu des événements passés : ils ont montré que des ruptures de digues sont possibles (dues au mauvais entretien ou à la submersion de celles-ci). Le second est le fait que les nouveaux programmes de gestion des inondations pluviales, tel que le système RAMSES, permettent de limiter l’impact des autres événements et donc atténuent le risque perçu. Cela n’a pourtant aucun effet sur les submersions marines.

Étude préalable à la pose de repères de crues supplémentaires

Recherche de laisses de crues

Bien que certains modes de recherche (courriers aux mairies) se soient révélés infructueux, la recherche de laisses de crue datant de 1999 a permis de relever de nombreux éléments. Ainsi, il a pu être identifié 257 laisses de crue :

  • 241 laisses de crues du rapport SOGREAH
  • 10 laisses du rapport de la CUB
  • 6 laisses suite aux photos et témoignages.

Ne restaient plus après filtrage que 46 laisses de crue à inspecter sur le terrain.

Sites viables et pose des repères

Compte tenu du faible nombre de sites de très bonne qualité identifiés au final pour la crue de 1999, et de la quasi-absence de repères à l’heure actuelle, l’objectif de poser un repère par commune ne pourra pas être atteint à l'issue de cette démarche. Le PAPI prévoyait la mise en place d’une centaine de repères de crue, le chiffre sera beaucoup moins élevé dans un premier temps avec seulement 14 sites de pose de très bon repères. Avec ceux déjà existants, 10 communes posséderont potentiellement des repères de la crue de 1999 sur l’estuaire de la Gironde. Le choix final de la pose d’un repère reviendra conjointement au SMIDDEST et aux mairies, au travers de conventions bipartites pour la pose et l’entretien des repères.

  1. titre VI du livre V du code de l’environnement, chapitre 4

Rémy Gasset (discussion) 17 septembre 2014 à 11:36 (CEST)

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