Prévision des crues : son historique en France (HU)
Traduction anglaise : Flood forecasting : its history in France
Dernière mise à jour : 19/05/2024
article en chantier
Cet article a bénéficié de la relecture et des contributions de Nicolas Cavard (SPC Loire-Allier-Cher-Indre) et de Jean-Pedro Silva (SPC Seine-Marne-Yonne-Loing).
Sommaire |
L'essentiel
De 1840 à 1914, le temps des pionniers
Les premiers pas scientifiques et techniques font suite aux très fortes crues de novembre 1840, puis d’octobre 1856, sur la Loire, le Rhône, la Garonne et la Seine, puis la Meuse et d’autres ensuite. Ils sot faits conjointement à la création des services spéciaux chargés des études relatives aux inondations. Les travaux scientifiques et techniques se développent dès le milieu des années 1850. Les méthodes connaissent des réussites et sont progressivement perfectionnées et étendues à de nombreux cours d’eau français. La crue de la Seine de l'hiver 1910 constitue pour le dispositif d’annonce des crues un test sévère. Le rapport de la commission technique chargée d’analyser les améliorations à apporter à la prévision des crues formule douze propositions hiérarchisées, qui apparaissent, avec le recul historique, d’une remarquable modernité, sur les plans technique et organisationnel.
De 1914 à 1984, une stagnation des services rendus, mais un net progrès des connaissances et une maturation des outils
Le beau programme de 1910 ne va guère se concrétiser. La guerre de 1914-1918 constitue le premier point d'arrêt, puis des regroupements de services sont effectués, en intégrant de nouvelles missions plus prestigieuses alors, comme l’hydro-électricité, qui seront privilégiées.
Le XXème siècle voit cependant des avancées scientifiques et techniques importantes dans les domaines de la géographie, de la transformation pluie-débit, de l’hydrologie statistique, des relations avec la météorologie et de la propagation des ondes de crues.
Depuis 1984, un mouvement de modernisation, de structuration, de renforcement et d’élargissement des services rendus
Au début des années 1980, une série de crues aux conséquences dramatiques touche la France. En réaction, deux arrêtés ministériels sont publiés le 27 février 1984, pour préciser et compléter les missions et l’organisation de l’annonce des crues. Simultanément, des avancées scientifiques et techniques, fondatrices pour la suite, se poursuivent, sur :
- l’évaluation des intensités et la localisation des précipitations pluvieuses en utilisant les images des radars météorologiques ;
- la consolidation des méthodes de prévision hydrologique et hydraulique ;
- l’accélération des recherches en modélisation hydrologique en temps réel ;
- la création de premières plates-formes de modélisation hydrologique et hydraulique ;
- les méthodes mises en œuvre dans des unités d’hydrométrie, des Services d’Annonce des Crues (SAC) et des DIREN coordonnatrices de bassin.
Très vite après une nouvelle série de crues, de 1999 à 2002, encore plus catastrophiques que celles des années 1980, la circulaire ministérielle du 1er octobre 2002, puis la loi sur les risques technologiques et naturels du 30 juillet 2003 restructurent profondément le réseau pour la prévision des crues et l’hydrométrie, avec la création du Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des crues (SCHAPI) et de 22 Services de Prévision des Crues (SPC). Ces derniers sont mis en place entre 2003 et 2007 ; ils regroupent et remplacent les 52 SAC existant auparavant.
Une nouvelle évolution s’avère nécessaire suite à deux nouvelles inondations dramatiques : les 14 et 15 juin 2010 à Draguignan et alentour, et le 27 février 2010, lors de la tempête Xynthia. Le Plan national sur les submersions rapides (y compris d’origine marine) est adopté interministériellement en février 2011, avec un important volet "prévision" qui définit plusieurs orientations nouvelles :
- nouvelle densification des SPC afin qu’ils atteignent une masse critique correspondant aux renforcements des tâches ;
- mise en place de relais locaux assurés par les Directions départementales des territoires (et de la mer) -DDT(M)-, en tant que référents départementaux pour l’appui technique à la préparation et à la gestion technique des crises d’inondation.
Le dispositif est complété par la mise en place progressive, à partir de 2012, dans les Départements d’outre-mer et en Corse, de Cellules de Veille Hydrologique (CVH) dont les missions sont ciblées sur des enjeux plus localisés, mais souvent importants.
Au cours des années suivantes, les évolutions prévues par le Plan national sur les submersions marines et d’autres, préparées aussi depuis assez longtemps, se poursuivent, avec notamment :
- la mise en place opérationnelle, à partir de 2017, du nouveau service Vigicrues Flash, d’avertissement sur le risque de crues soudaines ;
- la publication graphique des prévisions en faisant apparaître un faisceau d’incertitude à 80 % ;
- l’association à ces prévisions de crues de jeux de cartes de zones de zones inondées potentiellement (ZIP) et de zones inondées par classes de hauteur de submersion (ZICH), qui permettent de passer de la prévision des crues à celle des inondations ;
- la mise en service de l’HydroPortail (nouvelle application d’organisation, d’archivage, de traitement et de mise à disposition gratuite des données hydrométriques, alimentant notamment le système Vigicrues), opérée en 3 phases : 2015 pour certains services de l’État, 2018 pour les autres producteurs de données, 2022 pour le grand public via le lien www.hydro.eaufrance.fr.
Introduction
Cet article fait partie d'une série de sept articles qui traitent des différents aspects de la prévision des crues. En plus de celui-ci, cette série comprend :
- un article général : Prévision des crues et des inondations : vue globale (HU) ;
- 5 autres articles détaillant différents aspects (dont certains encore en cours d'écriture) :
- Prévision des crues : les modèles utilisés ;
- Prévisions des crues : les données nécessaires ;
- Prévisions des crues : erreurs, incertitudes et évaluation des performances ;
- Prévision des crues : les outils opérationnels utilisés en France ;
- Prévision des crues : développements récents ou en cours en France.
Le développement de méthodes de prévision des crues a commencé au cours des années 1850 sous le deuxième Empire et les premiers services spéciaux chargés des études relatives aux inondations et de l’annonce des crues ont été organisés par bassins versants (bien avant la création des Agences de bassin par la Loi sur l’eau de 1964), sur une bonne partie du territoire national en 1879 et 1881.
Les pionniers développèrent des principes dont certains restent d’actualité et connurent de belles réussites en prévoyant des crues de la Seine et de la Loire.
Suite à la crue de la Seine en 1910, qui a révélé des faiblesses, un projet très moderne d’évolution de la prévision des crues a été proposé par les services de l’État et des responsables politiques. Il n'a cependant pas été mis en place du fait de la première guerre mondiale, puis de la priorité donnée, dès 1919, au développement de l’hydroélectricité.
Le XXème siècle a été marqué par des progrès à la fois en termes de modélisation et de métrologie, qui n’ont été repris par les services en charge de l’annonce des crues que de façon partielle et inégale. Ce n’est qu’après les grandes crues du début des années 1980 que l'État a décidé une première restructuration de l'organisation de l’annonce des crues. Mais cette organisation restait centrée sur l’échelon départemental, était assez peu ambitieuse en matière de service rendu, et manquait de précision sur les fonctions de coordination au niveau national ou à celui des grands bassins versants.
Après une nouvelle série de catastrophes au début des années 2000 une organisation vraiment plus efficace a été mise en place, avec des Services de prévision des crues moins diffus, une fonction d’orchestration de l’organisation au niveau des grands bassins, ainsi qu’une animation scientifique, technique et opérationnelle au niveau national assurée par le Service Central de l’Hydrométéorologie et de l’Appui à la Prévision des Crues (SCHAPI).
Cet article reprend la proposition de (Bachoc, 2020) et distingue trois époques dans la présentation de cette histoire de presque deux siècles :
- de 1840 à 1914, le temps des pionniers ;
- de 1914 à 1984, une stagnation, voire un recul, des services rendus, mais un net progrès des connaissances et une maturation des outils ;
- depuis 1984, un mouvement de modernisation, de structuration, de renforcement et d’élargissement des services rendus.