Wikibardig:Démantèlement de barrages en France
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Le démantèlement de barrages a 2 origines principales.
Dans le premier cas, il intervient suite à un bilan des avantages socio-économiques de l’ouvrage et de son impact sur l’environnement. De nombreux cours d'eau français ont été aménagés depuis des siècles pour les besoins des hommes en énergie, navigation et agriculture notamment. Ces aménagements ont des impacts plus ou moins importants sur les écosystèmes aquatiques : les barrages modifient en effet les caractéristiques morphodynamiques et hydrauliques des rivières (ralentissement du courant, réchauffement de l'eau, envasement, eutrophisation) et font obstacle aux migrations des organismes biologiques et en premier lieu des poissons.
Dans le deuxième cas, au fil des décennies, certains barrages ont vu leur usage changer voire ont perdu tout usage. Cette situation est propice à l’abandon de l’entretien, de la surveillance et de la maintenance avec, en conséquence, un risque accru de rupture.
En France, plusieurs barrages de 6 à 35 m de hauteur ont été démolis depuis 1990. Le tableau ci-dessous, non exhaustif, liste quelques exemples d’ouvrages concernés.
Nom du barrage | Département | Cours d'eau | H (m) | Type | Année de démolition | Motif(s) |
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Kernansquillec | Côtes-d'Armor | Léguer | 15 | Béton voûtes multiples minces | 1996 | Concession non renouvelée/ Restauration de la qualité écologique des cours d'eau à poissons migrateurs/Absence d’usage du barrage |
St- Etienne du Vigan | Haute-Loire | Allier | 12 | Béton | 1998 | Concession non renouvelée/ Restauration de la qualité écologique des cours d'eau à poissons migrateurs |
Maisons-Rouges | Indre-et-Loire | Vienne | 6 | Poids | 1998/1998 | Concession non renouvelée/ Restauration de la qualité écologique des cours d'eau à poissons migrateurs |
Ayrette | Hérault | Rec Grand | 26 | Béton voûte | 2013 | Absence d’usage du barrage |
Vézins | Manche | Sélune | 35 | Béton voûtes multiples | 2019 | La production d'électricité n’est plus économiquement rentable / Remise en état écologique du cours d'eau |
Contexte juridique pour les ouvrages hydroélectriques – Réversibilité des aménagements
La loi du 16 octobre 1919 sur l'utilisation de l'énergie hydraulique prévoit que les concessions ou autorisations d'utiliser l'énergie hydraulique sont accordées pour une durée limitée, ne pouvant excéder soixante-quinze ans. Cette période donne l'occasion de réaliser un bilan entre les avantages socio-économiques liés au maintien de l'ouvrage (énergie, multi-usages, alimentation en eau potable, tourisme, etc.), et les impacts sur l’environnement. Ce bilan est un argument pour le maintien de l’exploitation du barrage ou pour sa mise en transparence.
Les concessions concernent les ouvrages de plus de 4 500 kW (concessions de service public en droit français). En fin de concession les biens sont remis à l'Etat. Celui-ci décide à l'échéance de la concession, soit de renouveler le titre, soit d'affecter la retenue d'eau à d'autres usages, soit, le cas échéant, de démolir le barrage (aux frais de l'Etat).
Les autorisations s'appliquent aux ouvrages de moins de 4 500 kW. Au terme de l'autorisation, les ouvrages restent dans tous les cas la propriété du pétitionnaire. Si l'autorisation n'est pas renouvelée, la loi du 16 octobre 1919 (art. 16 - 6èmealinéa) impose au propriétaire de rétablir le libre écoulement du cours d'eau à ses frais.
Les autorisations délivrées antérieurement ont été maintenues pendant une période provisoire de 75 ans, soit jusqu'au 16 octobre 1994. Sur plus d'une centaine de dossiers de renouvellement de concessions ou d'autorisations, l'État en a refusé trois (St-Etienne du Vigan sur l'Allier, Maisons-Rouges sur la Vienne et Kernansquillec sur le Léguer). Les barrages ont alors été démolis. En effet, les faibles intérêts économiques constatés de ces ouvrages et leurs impacts sur l’environnement ne justifiaient plus leur maintien.
Cette limitation dans la durée des autorisations, avec obligation de remise en état des lieux si l'autorisation n'est pas renouvelée, permet de mettre en œuvre le principe de réversibilité des aménagements, si les inconvénients de l'ouvrage ont été sous-estimés par rapport aux avantages.
Ce principe de réversibilité des aménagements a ainsi été mis en œuvre en France notamment dans le cadre plan "Loire Grandeur Nature", initié par l’Etat français le 3 janvier 1994. Ce plan d'ensemble pour la Loire a pour objectif de protéger les populations et de prévenir les inondations, tout en préservant les habitats et les milieux aquatiques, notamment le caractère "sauvage" de la Loire et de ses affluents. Dans ce cadre, un objectif important est la sauvegarde des poissons migrateurs, dont le grand saumon de la Loire, seul saumon parcourant encore un grand fleuve en Europe (800 km de distance entre l'estuaire et les frayères). Le non renouvellement des concessions (1994) et les démolitions des barrages de St-Etienne du Vigan et Maisons-Rouges s’inscrivent dans le cadre de ce plan.
Barrage de St- Etienne du Vigan sur l'Allier (Haute-Loire)
Contexte
La construction du barrage de St-Etienne du Vigan par un particulier avait été autorisée en 1895 en vue de l'éclairage de la ville de Langogne (Lozère). Haut d'environ 12 mètres de haut, sans dispositif de franchissement pour les poissons migrateurs, le barrage avait stérilisé 30 hectares d'excellentes frayères à saumons du Haut-Allier. À l'époque, les populations rurales avaient vigoureusement protesté (vainement), la pêche leur fournissant un complément de revenu appréciable.
La ville de Langogne a reconstruit le barrage en béton, quelques mètres à l'aval du premier barrage partiellement ruiné. Le barrage est devenu propriété d'EDF en 1950.
Maîtrise d'ouvrage
La démolition a été assurée par EDF. Le coût a été d'environ 7 millions de francs pris en charge par EDF avec une aide de l'Agence de l'eau.
Points particuliers
Le démarrage du chantier a été retardé dans l'attente d'une petite crue de façon à éviter tout risque de pollution lors de la vidange de la retenue. La démolition a été faite à l'aide d'explosifs le 24 juin 1998. Les sédiments dans la retenue étaient d'excellente qualité (sables et graviers) et aucune pollution n'a été constatée.
Bénéfices écologiques
Le site est revenu très rapidement dans un état proche d'un état naturel et cinq frayères de saumons ont été observées dès l'hiver 1998-99 à l'amont du site.
Barrage de Maisons-Rouges sur la Vienne (Indre-et-Loire)
Contexte
Construit en 1922 sous le régime de la concession hydroélectrique, à 800 mètres à l'aval de la confluence de la Vienne et de la Creuse, le barrage de Maisons-Rouges présentait une dénivelée de 4 mètres environ (à l'aval d'un bassin versant de près de 20 000 km2). Créé au départ pour les besoins d'une papeterie, il a ensuite été intégré dans le patrimoine d'EDF. La position de ce barrage, le premier depuis la mer, et sa situation à une confluence de grandes rivières ont entraîné un fort impact sur de nombreuses espèces de poissons migrateurs. Notamment le saumon, qui souffrait déjà d'une réduction de l'accès à une partie des frayères, a disparu. Les aloses se sont cantonnées sur une frayère relictuelle à l'aval du barrage, avec des problèmes d'hybridation entre Grande Alose et Alose feinte. Les diverses passes à poissons construites ont eu une efficacité très faible, et les différents plans de réintroduction du Saumon sur la Gartempe, affluent de la Vienne, n'ont pas eu de résultats probants.
Maîtrise d'ouvrage
La maîtrise d'ouvrage a été assurée par l'État (Ministère chargé de l’environnement). L'opération a été conduite par la direction départementale de l'Équipement d'Indre et Loire et la maîtrise d'œuvre par EDF. Le coût s'est élevé autour de 14 millions de francs. Il a été assuré par le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, avec des aides de l'Agence de l'eau et d'EDF.
Points particuliers
La principale difficulté a été l'opposition des élus locaux, en raison de pertes fiscales significatives pour plusieurs communes rurales. Elle a conduit à engager un plan d'accompagnement économique, de même importance financière que le coût de la démolition proprement dite. D'importantes aides ont été accordées par l'État, l'agence de l'eau, EDF et les collectivités territoriales pour des opérations de développement local.
La démolition a été réalisée pendant l'été 1998, les difficultés techniques ayant bien été appréhendées par la maîtrise d'œuvre. Après isolement d'une première moitié du chantier par des batardeaux permettant de conserver jusqu'à la fin août le plan d'eau nécessaire à l'irrigation des terres agricoles, la démolition a consisté essentiellement en un découpage des trois rideaux de palplanches au chalumeau et en la démolition à la pelleteuse du corps du barrage. Un seuil noyé a été reconstitué en fond du lit de la rivière pour éviter, d'une part, des érosions régressives, prévisibles en raison de l'existence d'anciennes extractions massives de sable dans le lit de la Vienne et de la Loire, et d'autre part pour limiter la migration des sédiments situés en amont de la retenue.
Les sédiments constitués de sable n'ont posé aucun problème de qualité. De nombreux pompages agricoles qui existaient dans la retenue ont été rétablis par l'État (le coût du rétablissement est intégré dans le coût global de la démolition). Par contre, un camping, proche de la confluence 800 m à l'amont du barrage, a subi un glissement de terrain et un des bâtiments a présenté quelques fissures, sans doute en partie à cause de la modification des écoulements des eaux souterraines liée à l'abaissement de 4 mètres du plan d'eau.
Bénéfices écologiques
Les aloses ont dès 1999 bénéficié de l'effacement du barrage : 433 ont été capturées sur la Vienne à Chatellerault, 20 km à l'amont de Maisons-Rouges (91 dans la passe à poissons et 342 en pêche de sauvetage) et 15 sur la Creuse à l'aval de Descartes, 12 km à l'amont de Maisons-Rouges. Des frayères actives ont été observées sur la Vienne à Chatellerault et sur la Creuse à l'Ilette. Des lamproies ont été observées sur la Vienne en aval du barrage de Chatellerault. Une recolonisation conséquente par la lamproie a été constatée sur la Creuse jusqu'à St-Gautier, sur la Gartempe jusqu'à Saulgé et sur l'Anglin jusqu'à Concrenier.
L'observation en juillet 1999 d'un saumon vivant, de 88 cm de long et d'un poids de 4,8 kg, dans la Gartempe à Châteauponsac en Haute-Vienne a également été un signe encourageant. Les premiers constats ont par ailleurs indiqué une importante reprise de la dynamique du lit, qui avait été fixée par le barrage.
Le programme de suivi mis en place sur 10 ans suite à l’effacement du barrage, par l’Université de Chinon, a montré une augmentation exceptionnelle du nombre de poissons migrateurs.
En 2004 et 2007, la station automatique de comptage située 20 km en amont de Maisons-Rouges a enregistré respectivement :
- 3 500 et 9 500 aloses,
- 8 300 et 41 600 lamproies marines,
- 2 et 12 truites de mer,
- 2 et 11 saumons sauvages adultes.
En 2007 environ 9 000 aloses, 51 000 lamproies marines, 4 truites de mer et 60 saumons sauvages ont été dénombrés à la station de comptage automatique de Descartes, 12 km en amont de Maisons-Rouges.
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Pour plus d'information sur l'auteur : Irstea - UR RECOVER - Equipe G2DR
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