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La cartographie des habitats marins

De Wiklimat
Site internet du RFRC : Réseau Français de Recherche Côtière

Comme bien des sujets scientifiques, la cartographie des habitats benthiques (le benthos est l’ensemble des êtres vivant au fond de la mer) peut sembler d’un abord difficile. Cependant, un peu d’information suffit pour comprendre ce qu’elle cherche à accomplir et pourquoi elle est si importante. Cet article vise à la rendre plus accessible au grand public et à leur communiquer l’enthousiasme des scientifiques à ce sujet.

On dit que l’on connaît davantage la surface de la planète Mars que le fond de nos océans, et c’est vrai dans une certaine mesure. Par exemple, dans le cas des eaux marines européennes en général, on n’a que peu de connaissances des habitats benthiques. On possède de l’information, acquise au moyen de diverses techniques, mais seulement sur des zones limitées. Cette information est conservée dans une multitude d’institutions de plusieurs pays. Aujourd’hui une démarche se met en place qui vise à améliorer cette situation afin que nous disposions d’information sur un territoire beaucoup plus vaste, acquise à l’aide des meilleures techniques possibles et accessible en un lieu centralisé. Avant d’aborder la manière de réaliser cette tâche, prenons le temps de voir ce qu’est un habitat benthique.

Sommaire

Qu'est-ce qu'un habitat benthique ?

Un habitat benthique définit la situation de l’environnement, tant physique que biologique, en un point précis du fond de la mer. Sur la terre ferme, on peut considérer qu’une forêt, un marais ou une prairie entre autres sont des types d’habitat. Sur la carte ci-dessous les zones correspondant à un même type d’habitat sont représentées par une même couleur.

Habitat pertuis charentais.jpg
Carte des habitats des fonds meubles des Pertuis charentais (IUEM)
Habitat de maërl (Olivier Dugornay)
Habitat de laminaires (Yves Gladu)

Il existe une hiérarchie complète des types d’habitat, depuis des descriptions élémentaires (de niveau élevé dans la hiérarchie), telles que « plage de sable » ou « rocher des zones découvrantes et autres substrats durs », jusqu’à des descriptions très détaillées, (de niveau inférieur dans la hiérarchie), comme « Lanice conchilega dans un sable intertidal » ou « Chthamalus montagui et Chthamalus stellatus sur un rocher médiolittoral supérieur exposé » ! Le type d’habitat en un lieu donné dépend de la profondeur de l’eau, de la nature du fond et des courants à cet endroit, ainsi que d’une multitude d’autres facteurs. Parfois, la combinaison de ces facteurs produit des conditions uniques, comme celles dans lesquelles vivent des coraux d’eau froide dans le fond de la mer du Nord.

Il est important de noter que le matériau précis d’un habitat ne définit pas nécessairement à lui seul les êtres qui y vivent ; mais l’ensemble des caractéristiques physico-chimiques du milieu (ou biotope) donne une bonne indication de ce qui peut vivre dans une zone donnée.

Jusqu’à récemment, on utilisait en Europe différentes manières de classifier les habitats marins, mais une norme européenne élaborée par l’Agence européenne pour l'environnement, appelée EUNIS - European nature information system ou Système européen d’information sur la nature - permet maintenant de recueillir de l’information de manière cohérente.

Pourquoi les cartes d’habitats benthiques sont-elles si importantes ?

Notre environnement marin est très sollicité. A la pêche et à l’extraction de pétrole, de gaz et de granulats marins (sable et gravier) s’ajoutent maintenant la construction de parcs d’éoliennes et de nombreuses activités récréatives. Vous avez peut-être entendu ou vu aux informations à quel point des espèces marines sont en déclin à cause d’activités telles que le chalutage et le dragage. Les cartes d’habitats benthiques fournissent une information essentielle pour réaliser un équilibre entre exploitation et conservation du milieu marin et notamment elles sont très importantes à prendre en compte pour la mise en place d’aires marines protégées.

Eoliennes blyth.jpg Parc marin iroise.jpg Extraction granulats.jpg
Eoliennes au large de Blyth (AMEC) Parc marin d'Iroise (Yves Gladu) Extraction de granulats (BMAPA)

Comment produit-on une carte d’habitats benthiques ?

Pour produire une carte d’habitats benthiques, il faut effectuer à intervalles réguliers des levés du fond de la mer. On peut utiliser une large palette de techniques, qui vont des photographies aériennes et des reconnaissances sur le terrain en zone très côtière, à une variété de systèmes embarqués sur des navires : sonars et sondeurs, observations en plongée (à l’aide de caméras remorquées derrière un navire), prélèvements à la benne d’échantillons qui seront analysés ultérieurement. La technique à employer dépend de la qualité voulue des données, de l’endroit, de la profondeur, de l’étendue du territoire à couvrir, etc. Les résultats de ces levés sont ensuite interprétés conjointement pour délimiter les zones de même nature et confectionner ainsi la carte.

Teledetection aeroportee.jpg Remorquage camera.jpg
Télédétection aéroportée (2004 Marine institute) Bâti de remorquage d'une caméra (2004 Marine institute)
Donnees bathy.png Carte habitats glenan.jpg
Interprétation de données bathymétriques (Ifremer) Cartes des habitats des îles de Glénan (Ifremer)

Que font les équipes scientifiques ?

Comme les habitats marins, par leur nature même, ne connaissent pas les frontières internationales, un élément essentiel de la réussite d’un projet est la participation du plus grand nombre de pays possible. Différents projets, tel que le récent projet Mesh (financé par le Feder, Fonds européen de développement régional, voir [1]) ou encore le projet Hermes ([2]) rassemblent régulièrement des partenaires de plusieurs pays pour travailler ensemble pendant quelques années. Il est parfois difficile pour un tel nombre de partenaires d’horizons si différents de travailler ensemble. Cependant c’est non seulement intéressant, mais également bénéfique pour la production de résultats utiles à un public aussi vaste que possible.

La première tâche des participants consiste à rassembler et à compiler toutes les cartes existantes en Europe (dont certaines datant de la fin du XIXème siècle) et de les harmoniser selon la typologie européenne normalisée Eunis. Une bonne partie de cette information est maintenant disponible par l’intermédiaire d’un système de cartographie interactif sur internet ([3]).

Parallèlement à cela, les projets concourent souvent à l’élaboration de normes et de procédures relatives aux méthodes et aux techniques de levé et d’échantillonnage pour la cartographie des habitats marins, ce qui contribue à améliorer la qualité et la cohérence des levés futurs. Dans le cadre de l’élaboration de ces normes, il est nécessaire d’effectuer certains travaux sur le terrain, afin de tester la qualité et la faisabilité des méthodes préconisées. Ces travaux permettent également de combler certaines lacunes dans l’information initialement rassemblée.

Enfin pour que tout ce travail soit pleinement bénéfique, il est capital pour ces équipes de communiquer avec les personnes qui les utilisent. Une partie importante des projets consiste à organiser des ateliers à l’intention des parties intéressées et à faire la démonstration de la valeur des cartes d’habitats comme outil de gestion durable des ressources marines.

Vers une carte d’habitats des eaux européennes?

Après la compilation et l’évaluation de toutes les données existantes, ainsi que l’élaboration de nouvelles cartes, il y a encore énormément de lacunes dans l’information dont nous disposons. Les projets menés par les différentes équipes ne visent pas à cartographier la totalité des fonds marins européens car ce serait une entreprise beaucoup trop longue et coûteuse. Les équipes travaillent donc à mettre au point des méthodes de prédiction des types d’habitat à partir de nombreux facteurs, dont la profondeur, le type de fond, les courants, la température ; autrement dit, des méthodes d’utilisation de l’information disponible pour prédire les types d’habitat benthique. En plus de compléter la couverture spatiale de l’information, cet exercice peut permettre de comprendre les processus qui déterminent l’existence d’un type d’habitat particulier à un endroit donné.

Carte eunis3 europe.jpg
Carte modélisée au niveau Eunis 3 de la région nord-ouest de l’Europe (Mesh 2008)

La carte ci-dessus donne un exemple de modélisation du biotope des habitats, c'est-à-dire de leur description physique. Elle est basée sur des paramètres physiques mais pourrait être améliorée localement par des reconnaissances de la biologie du fond.


Le créateur de cet article est Jacques Populus
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